|
|
|
|
LA PHYSIOLOGIE DES DISPONIBILITÉS |
|
- Application des disponibilités à l'individu
|
A quoi peut-on employer une somme disponible ? On peut, bien entendu, l'utiliser dans une consommation de luxe.
Cependant, faisant abstraction de ce cas qui constitue un simple déplacement de la demande entre l’époque où la réserve a été effectuée et celle où elle sera dépensée, considérons cet autre cas où il se trouve que cette disponibilité vient constituer définitivement une épargne, que l'on pense affecter à un emploi lucratif.
On peut acquérir des biens qui produisent une rente, tels que les titres de la dette publique, les propriétés foncières, les titres industriels, les affaires, entreprises industrielles en cours de fonctionnement. On peut aussi la prêter à des personnes qui seront disposées à verser un intérêt, au moins aussi élevé que celui que l'on obtiendrait dans l'un quelconque des emplois, dans les mêmes conditions de sécurité ou de garantie. En de tels cas, on espère tirer un revenu de l'épargne.
On peut acheter l'un quelconque des biens dont nous venons de parler ou une marchandise, ou le droit d'usage de quelque avantage, que nous espérons revendre ou céder à un prix plus élevé. Le profit est alors le fruit de nos spéculations.
Il existe, enfin, la possibilité d'utiliser cet argent pour réaliser quelque chose d'utile à autrui, ou pour rendre un service dont les hommes sont prêts à rémunérer soit l'effort, soit l'attention, soit le capital investi dans ce service. C'est, par exemple, le cas de la création et de la mise en œuvre d'une industrie, de l'implantation d'un commerce, de la construction d'un bâtiment, ou du développement de n'importe quelle autre entreprise, qui implique une demande de marchandises pouvant être reproduites ou remplacées par la production, et une demande de machines qui les transforment. Dans ce cas, l'argent disponible se convertit progressivement en salaires, appointements, intérêts, rentes, bénéfices et rémunérations en général de ceux qui travaillent ou collaborent pour le compte du promoteur à la création d'un nouveau produit, lequel produit ne représente plus une disponibilité. |
|
- La fonction des disponibilités
|
L'effet économique de l'avoir disponible dépend, bien entendu, de son application. Vendre un bien, c'est échanger un avoir non-disponible contre une disponibilité ; acheter, c'est l'inverse. La vente est un transfert de disponibilités de l'acheteur au vendeur ; aux mains de ce dernier, l'argent conserve le même caractère qu'il avait aux mains de l'acheteur, un caractère potentiel qui représente la possibilité de demander certaines quantités de marchandises, de valeurs ou de services, encore indéterminées. Mais son effet sur le marché des produits est nul et imprévisible, tant que son possesseur ne décidera pas et n'accomplira pas l'affectation qu'il se propose de donner à son argent.
C'est la même chose qui se produit dans le cas d'un prêt ou de la cession d'une disponibilité ; c'est une simple transmission de celle-ci, dont l'effet dépend de l'emploi que lui donnera celui qui la reçoit. Si c'est l'État, cette transmission se transformera ensuite en une demande de matériaux et de main-d’œuvre, en vue de réaliser des travaux publics, des armements, du ravitaillement pour l'armée, se transformera aussi en avoir des fonctionnaires, etc. … Si l'emprunteur est un industriel, elle se transformera en demande de matières premières, de machines, de salaires, d'intérêts du capital, etc. … Mais tant que cela ne se produira pas, la simple transmission de la disponibilité, soit à titre de paiement d'une dette antérieure, soit en échange d'un bien acquis, soit à titre de prêt, ne modifie pas la fonction et la nature d'une telle disponibilité. Celle-ci représente une force économique en puissance, un élément de réserve entretenu dans la spéculation ou dans le prêt et dont la fonction économique se résume, d'une part à soutenir et à niveler les prix des biens productifs de rente, les prix des produits vendus en gros, et de tout ce qui peut être l'objet de spéculation, et, d'autre part, à équilibrer et à déterminer la rente relative des différents emplois du capital.
Cela mérite une attention plus marquée, car c'est l'explication de la condition d'équilibre de nombreux indices économiques. |
|
- Les disponibilités et les rentes
|
Supposons que la masse de disponibilités existant sur le marché croisse en rapport des biens qui peuvent faire l'objet de spéculations, et des sommes qui sont demandées sous forme de prêts. Alors, le prix des valeurs, objet de la spéculation, monte du fait de la loi classique de l'offre et de la demande ; les terres et les titres en bourse se trouvent dans ce cas.
Cependant, le prix des objets productifs de rente, se trouve lié à la rente relative qu'ils produisent. Si leur cours augmente, sans augmentation de leur productivité, la rente relative diminuera et les détenteurs de disponibilités, qui souhaitent leur donner un emploi lucratif, éviteront de les échanger contre des titres dont le taux de rente est faible.
Au contraire, une augmentation de la rente des titres à revenu variable, tels que les terres, les actions industrielles, etc. … les rendra plus attrayants, à cause de leur plus grande lucrativité relative, les disponibilités afflueront et feront monter leurs valeurs, en abandonnant leurs emplois moins avantageux. Ces derniers connaîtront, par voie de conséquence, une dépression des coûts qui tendra à équilibrer les rentes relatives.
De telle sorte qu'un certain équilibre s'établira entre la masse des disponibilités, demandeurs d'actifs productifs de rente, et la quantité de chacune des catégories d'actifs offertes sur le marché.
Cette relation déterminera la rente relative au cours moyen de l'unité de rente (1). La cause de ce qu'il est convenu d'appeler le taux d'intérêt n'est pas autre que celle-ci. Cependant, s'il est vrai que le taux d'intérêt naît de la possibilité que l'on a d'employer les disponibilités à l'acquisition d'actifs productifs de rente, il n'en réagit pas moins sur tous les autres emplois des disponibilités, car celles-ci ne seront attirées vers un emploi déterminé que dans la mesure où elles y trouveront un avantage au moins égal à celui des autres emplois offrant la même sécurité, alors que ces mêmes disponibilités fuiront les emplois les moins favorables, jusqu'à ce que leur rareté entraîne l'élévation du taux de rente, soit du fait de la baisse de leur valeur de cession, soit parce que la nécessité d'attirer les disponibilités oblige à élever suffisamment les avantages offerts (2).
C’est ce qui se produit pour le prêt ; l'emprunteur s'efforce d'obtenir les meilleures conditions possibles, cependant s'il offrait moins que ce que les détenteurs de disponibilités peuvent obtenir en achetant des titres de rente au taux du marché, il ne fait aucun doute que l'emprunteur n'obtiendrait pas son prêt. Si, par accident, il se trouve quelquefois la possibilité d'obtenir des prêts à un taux moins élevé que celui du marché, la demande de prêt enfle bientôt démesurément, car les emprunteurs réalisent une bonne affaire, en empruntant de l'argent et en l'employant dans l'acquisition de titres qu'ils peuvent nantir. L'augmentation de la demande de monnaie fera fatalement augmenter l'intérêt des prêts, et la demande de biens productifs de rente en fera augmenter le prix et fera descendre le taux de rente, jusqu'à ce que l'équilibre se rétablisse.
Le prêt n'est pas en soi la cause de l'intérêt du capital ; l'intérêt du prêt est une réflexion du phénomène de la rente produite par certaines valeurs échangeables contre de la monnaie, et étant donné que ces valeurs, hormis la terre, procèdent à leur tour du prêt, il faut en conclure que l'origine première de ce phénomène doit être recherchée dans la rente de la terre et dans la permutabilité de la propriété de la terre contre d'autres valeurs. Et de même que la monnaie n'est jamais prêtée sans intérêt, de même n'est-elle cédée pour aucun autre usage sans un avantage proportionnel, que cet usage soit la production ou que ce soit la spéculation. |
|
- La spéculation et le profit spéculatif
|
La croissance des disponibilités tend à faire monter le prix spéculatif des biens, aussi bien les produits de consommation que les actifs productifs de rente ; leur diminution tend à les faire baisser.
Cependant, lorsque les prix sont à la hausse, la spéculation s'avère très avantageuse, car la marge entre le coût de production et le prix de vente aux consommateurs, qui représente l'indice des possibilités de spéculation, augmente. Il arrive alors que les bénéfices tirés de la spéculation dépassent le gain que le capital obtient sur les biens productifs de rente et il s’oriente alors vers l'achat de denrées et de valeurs dont le coût est à la hausse. Seulement, la hausse du cours des biens productifs de rente se trouve limitée par la baisse de la rente relative qu'elle engendre et elle est, partant, moins élastique que celle des articles de consommation. Dans le cas contraire, c'est-à-dire celui où la marge bénéficiaire qu'offre la spéculation est insuffisante, les disponibilités fuient la spéculation commerciale. Mais étant donné que, dans une certaine mesure, celle-ci est nécessaire à l'organisation actuelle de la production, leur manque relatif se traduit par une difficulté pour les producteurs de trouver des débouchés à leur production, pour les consommateurs et les commerçants détaillants de s'approvisionner. Dans le premier cas, il se produit une baisse du coût de fabrication ou du prix sur le marché de la production. Le deuxième cas entraîne une hausse du prix de vente au consommateur, le résultat en est une augmentation de la marge bénéficiaire jusqu'au point où une masse suffisante de disponibilités trouve que cet emploi spéculatif est attrayant, du fait que leurs détenteurs jugent que cette marge compense suffisamment l'intérêt que leur avoir pourrait leur procurer dans des emplois de rente, ainsi que le risque spécifique que comporte la spéculation et la rétribution de leur activité personnelle que leur fournit la profession.
C'est à ces deux dernières causes que correspond la marge différentielle entre le profit de rente et le profit spéculatif ; mais cette marge est indépendante de ce que le premier - qui se trouve être le véritable taux d'intérêt - soit plus grand ou inférieur, voire même nul. Le taux de profit spéculatif est toujours plus élevé, dans une certaine mesure, que l'autre, de même que l'eau de la rivière, s'élève toujours au-dessus du niveau de quelque obstacle qu'on lui oppose, suffisamment pour donner libre cours à son débit, indépendamment de la hauteur du barrage. Sans la possibilité d'obtenir un profit gratuit, par l'acquisition de terres ou de titres de rente, le taux de profit commercial ou industriel partirait de zéro. Alors qu'en réalité, il part d'une certaine valeur positive, à la manière de deux générateurs électriques qui, montés en tension, additionnent leur potentiel, car chacun, au lieu de produire son effet électro-dynamique à partir de la tension neutre nulle, tel que lorsqu'il travaille seul, produit cet effet à partir d'une dénivellation électrique déjà engendrée par l'autre générateur. |
|
- Le métabolisme des disponibilités
|
Tandis que le prêt, la spéculation ou l'acquisition d'actifs productifs de rente ne modifient pas le caractère objectif des disponibilités qui est indépendant des mains entre lesquelles elles se trouvent, l'emploi industriel donne lieu à une mutation évidente de leur condition en tant que telles. Dans ce cas, elles sont affectées au paiement de salaires, d'avoirs, d'intérêts, de loyers, etc. … C'est-à-dire qu'elles se transforment en revenus. Elles passent de l'état de disponibilités maxima ou moyennes, à l'état de disponibilités minima, car elles viennent former le revenu normal d'un certain nombre d'individus, revenu destiné généralement à satisfaire les besoins immédiats et à créer une demande nouvelle, d'articles de subsistance, de confort ou de loisirs. Ce flux va ensuite reconstituer de nouveau une véritable disponibilité aux mains des débitants de ces produits qui, en réalisant leurs ventes, récupèrent les disponibilités qu'ils avaient investies dans ces produits, à titre spéculatif, et, en outre, le profit qui constitue leur rétribution commerciale.
Il y a toujours une certaine quantité de disponibilités, en cours de transformation en revenus, de même qu'il existe une certaine masse de revenus contrainte de reconstituer les disponibilités ou les semi-disponibilités aux mains des commerçants, en même temps, une masse d'épargne de formation récente soustraite de leur revenu normal par les consommateurs qui vient s'ajouter en tant que disponibilités maxima à celles qui existent déjà. De cette dernière se détache une certaine partie que leurs détenteurs vont consacrer à leurs dépenses par eux-mêmes ou par l'intermédiaire de ceux qui l'empruntent, tel que l'État, venant augmenter ainsi la demande d'articles de consommation. Ainsi, ce qui de l'extérieur semble être un équilibre présentant de lentes oscillations est en fait un état dynamique extrêmement actif, semblable à l'équilibre matériel des êtres vivants qui ne parvient à se maintenir qu'au moyen d'une constante assimilation et dissimilation, les tissus de réserve - ici : les disponibilités - augmentant ou diminuant en fonction du bilan des deux aspects opposés du métabolisme.
Il faut observer, de ce point de vue, que l'emploi industriel est identique à la consommation improductive, telle que celle de l'État ou la consommation de luxe des particuliers. L'une et l'autre engendrent une demande de produits dont la valeur se transforme en rémunérations de la production ou bien viennent former immédiatement des rémunérations (traitement des fonctionnaires) qui serviront immédiatement à former la demande d'objets de consommation. |
|
(1) Il est évident que le prix de l'unité de rente n'est rien d'autre que l'inverse du taux d'intérêt ; un intérêt de 5 % signifie que l'unité de rente annuelle s'achète contre 20 unités de monnaie.
Pour les familiers de la forme actuelle de la théorie des prix, il n'y a aucune difficulté à comprendre comment se détermine le prix de rente. A chaque niveau de prix correspond un certain nombre de propriétaires de titres de rente, désireux de vendre; ce nombre augmente, naturellement, à mesure que monte le prix. En revanche, le nombre de détenteurs de disponibilités décidés à acheter diminuera à mesure que le prix augmente, car la transaction s'avère alors de moins en moins avantageuse. Il y aura un prix, et un seul, pour lequel, à un moment donné, la demande et l'offre coïncideront parfaitement, et c'est vers ce point que tendra continuellement le prix. S'il y a, à un moment donné, de nombreuses terres et de nombreux titres offerts à la vente et aux acheteurs, cela signifie que le prix idéal d'équilibre est inférieur à celui qui a cours, et celui-ci tendra donc à baisser jusqu'à rejoindre celui-là. C'est le contraire qui se produira lorsque le nombre des détenteurs de disponibilités ou demandeurs d'actifs productifs de rente augmentera, car seule une élévation du prix de la transaction incitera un nombre suffisant de propriétaires, de rentiers et de spéculateurs, à satisfaire les demandes des détenteurs d'avoir disponible, désireux de l'employer sur le marché des rentes. |
|
(2) Ce n'est certainement pas là l'opinion courante dans notre science, sur l'origine de l'intérêt. Cependant, celle que l'on soutient habituellement ne résiste pas à un examen sérieux et ce serait trop de digression que d'en faire ici l'analyse. La doctrine que je soutiens me paraît plus rationnelle et plus féconde. |
|