On est tenté d'établir un parallèle entre le premier et le dernier ouvrage de théorie économique de BERNACER, entre d'une part, Société et Bonheur (1916) et d'autre part, "Une économie libre… " (1955) (1)
L'un et l'autre ouvrages ont en commun une vocation généraliste et synthétique qui débouche sur la praxis économique : le premier y aboutit dans le livre IV intitulé "la réforme", le second dans la section IV intitulée "Solutions". Si la finalité et la démarche sont communes, avec une analyse critique du système économique réel, que nous sommes convenus d'appeler capitalisme, aboutissant à un programme de réformes, les deux ouvrages contiennent cependant des éléments de différence.
Il est naturel et logique qu'au terme de 50 années de recherches personnelles, alors que près de 40 ans séparent les deux ouvrages, que deux guerres mondiales, une guerre civile, une dépression de près de dix ans et une phase de prospérité soutenue dans la plupart des pays depuis la deuxième guerre mondiale, qu'après que cinquante ans de progrès universels dans la connaissance du monde économique soient venus s'intercaler entre ces deux ouvrages, le deuxième paraisse très différent du premier.
Le jeune chercheur autodidacte des années 1910 s'est affirmé comme un économiste de grande classe : son langage est plus précis, les concepts plus rigoureux, le domaine de l'étude mieux défini. Les longues pages à dominante historique, sociologique et politique qui "encombraient" (2) d'un certain point de vue son premier livre, sont presque totalement sacrifiées, pour ne former qu'une partie du dernier chapitre de "Une économie libre…" intitulé : histoire des idées et des institutions. Il n'y a donc plus mélange des genres dans ce dernier livre : c'est un ouvrage d'analyse économique. Ce volume contient une richesse impressionnante d'idées, cependant, elles sont traitées, cette fois, par une méthode, une optique, un langage d'économiste.
Les idées de "Société et Bonheur" se retrouvent en très grande majorité dans les critiques et dans les propositions de solutions de "Une économie libre…". Certaines véhémences du premier livre - ouvrage de jeunesse d'un cœur généreux - sont tempérées dans l'expression employée en 1955 ; l'âge, les évènements violents des années trente, l'actualité du régime politique espagnol expliquent certainement ce ton mesuré. Il n'en demeure pas moins que l'essentiel est dit avec une force contenue dans la démonstration et dans l'analyse sinon dans le ton : propriété collective du sol, propriété privée collective (3) des moyens de production, unités de production autogérées, décentralisation, suppression de l'impôt et de la spéculation (Bourse des valeurs en tête) sont des réformes draconiennes de la part d'un libéral authentique ! On se demande comment ce livre a pu être publié en ESPAGNE, à cette époque-là (4). |