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LES DISPONIBILITÉS ET LA PRODUCTION |
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- Les rémunérations et la valeur du produit
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Il y a lieu d'établir une série de relations quantitatives très simples, mais pas moins importantes pour autant, entre les éléments du fonds des disponibilités et ceux de la production. Ces relations furent peut-être pressenties d'une manière obscure par les économistes de l'école classique lorsqu'ils parlaient du fonds des salaires qu'ils ne parvinrent jamais à définir de façon claire et satisfaisante.
Il est logique et nécessaire que le montant de toutes les rémunérations qui naissent d'une production ne soit différent en aucun cas de la valeur créée. Il peut arriver accidentellement que l'entrepreneur de la production se voit obligé de distribuer sous formes de salaires, d'appointements, de prix de matières premières, d'intérêts, etc. … plus qu'il n'obtient en échange du produit sur le marché, travaillant ainsi à perte, ou selon une expression mathématique avec une rémunération négative. Si l'on tient compte de toutes les participations à la production, y compris les participations négatives, il ne fait aucun doute que leur somme algébrique équivaut exactement à la valeur du produit, ou d'une manière plus précise, au prix que l’on obtient par son échange sur le marché.
Cela sera encore vrai lorsqu'au lieu de considérer une production particulière, on considèrera l'ensemble des productions d'une période déterminée ; de sorte que si nous représentons par P la valeur de cette production et par R l'ensemble des revenus qui en découlent, nous pouvons écrire l'identité :
P = R (a)
Cependant, nous devons veiller, en totalisant d'un côté la production et, de l'autre, les revenus, à n'omettre aucun élément de la valeur du produit et à éviter les doubles-emplois dans la comptabilisation, sans quoi on pourrait arriver à une fausse interprétation de cette équation.
Si la valeur de la production doit comprendre tous les revenus obtenus par l'ensemble des participants de la production, il faut aussi qu'elle représente le dernier prix atteint par les produits ; si nous prenions le prix à l'usine, nous éliminerions les bénéfices des spéculateurs et des commerçants qui les revendent ensuite, bénéfices qui forment aussi des revenus nés du produit ; si nous prenions le prix de gros, il lui manquerait les bénéfices des détaillants. C'est donc le prix de vente au public consommateur qui englobe justement et précisément les revenus qui découlent du produit.
On observe facilement que le terme P doit être formé de l'ensemble des ventes effectuées à de véritables consommateurs, en vue d'une consommation hors du circuit de la production, en excluant toutes les transactions en marchandises effectuées par les consommateurs industriels pour les besoins de leur industrie, telles que les achats de charbon, de matières premières, de produits chimiques, d'engrais, etc. …, car la valeur de ces biens se trouve comprise, ensuite, dans celle du produit fini, de sorte que si l'on tenait compte du montant de ces transactions, cela reviendrait à compter deux fois le même élément. Il en va de même des opérations de spéculation dont fait l'objet un produit (1). Il faut donc exclure de l'ensemble des opérations commerciales les transactions que nous pouvons qualifier de spéculatives, au sens le plus large du terme.
Ainsi, la valeur de la production ne devant comprendre que le prix ultime des produits finis, la somme totale des revenus R ne doit comprendre que les revenus tirés directement de la production matérielle, à savoir ceux qui naissent et sont payés pour la valeur du produit, et non ceux qui proviennent de certains services particuliers rendus aux producteurs. Ceux-ci, de fait, constituent des transferts d'une partie de leur revenu, en échange d'un service utile qu'ils reçoivent, mais qui n'est pas productif, au sens économique du terme. Par exemple, les honoraires des médecins qui ne sont pas, de toute évidence, tirés de la production ; ceux qui ont besoin de ces services et qui les paient les satisfont réellement en transférant le droit de percevoir une partie de la production obtenue par l'échange de ces services (2).
L'impôt que l'industriel paie à l'État est une partie de la valeur du produit, puisque l'industriel le fait entrer dans ses éléments du coût. Cependant, si l'on inclut dans les revenus, ceux que nous pouvons appeler la rémunération des services de l'État, il faut ne pas tenir compte des revenus que l'État distribue à ses fonctionnaires, car ce serait compter deux fois le paiement d'un même service où l'État est un simple intermédiaire qui transfère et distribue à ses fonctionnaires ce qu'il perçoit des producteurs.
L'importance de la simple équation que nous venons d'établir provient de ce que les revenus sont, de fait, des participations au produit obtenu, en fonction de l'estimation que l'on fait de la collaboration de chacun. Ainsi, la somme de ces revenus ne saurait être ni supérieure, ni inférieure au prix du produit, car il en résulterait l'anomalie selon laquelle, les participants à la production, en tant que consommateurs, auraient droit à une quantité plus grande ou inférieure à celle qui a été produite, de sorte qu'il en résulterait un déficit ou un résidu, qui serait à porter au préjudice ou au bénéfice de quelqu'un. Un cas de ce genre peut se produire dans la réalité et c'est alors un paradoxe qui mérite explication.
Si l'on considère la production elle-même, dont découlent les revenus, l'équation (a) exprime une tautologie. Cependant, étant donné qu'entre la période où se réalise la production et celle où les produits apparaissent sur le marché, il s'écoule un laps de temps, différent peut-être de celui qui s'écoule entre la fin de la production et le paiement des revenus, dès leur transformation en demande d'articles par les percepteurs de ces revenus, il est à supposer que l'offre et la demande nées de mêmes opérations de production ne coïncideront pas toujours sur le marché. Il devrait donc s’ensuivre un déséquilibre, provenant de ce qu'il apparaît sur le marché plus de revenus sous forme de demandes d'articles de consommation qu'il n'en a été produit et donc offert sur le marché, soit du phénomène inverse.
Cela est de la plus haute importance pour l'interprétation des phénomènes économiques et il y a lieu d'examiner minutieusement comment cela peut se produire. |
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- Les revenus et la demande
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Il est évident que la demande de chaque individu pendant une période considérée ne peut être réalisée qu'aux dépens des disponibilités qu'il avait en début de période, à quoi s'ajoutent les revenus qu'il percevra pendant cette même période. Cela représente sa capacité maximum de demande et il est probable qu'il ne l'utilisera pas entièrement, car il conservera à tout moment un résidu de disponibilités.
Ce sera également le cas de tous les individus d'un territoire considéré. Cette vérité étant d'autant plus rigoureusement établie qu'en considérant la totalité de l'ensemble, il n'y a pas lieu de tenir compte des transmissions de disponibilités entre individus pour cause de prêts, de remboursements, d'achats spéculatifs, etc. …, puisque ces transmissions augmentent les disponibilités des uns en même temps qu'elles diminuent celles des autres.
Considérons qu'au début de la période en question, A est l'ensemble des disponibilités existantes et que le total des revenus obtenus par tous les producteurs pendant cette période est R. Le quantum de la demande effective, chiffré en unités monétaires (l'offre de numéraire en échange du produit de consommation ou d'usage personnel), ne pourra pas dépasser la somme (A + R). Normalement, elle sera inférieure, car à la fin de cette période, il restera une certaine disponibilité A' égale, supérieure ou inférieure à A, mais toujours positive, qui viendra diminuer le maximum de demande, et représentera la demande effective D ; ainsi, nous pourrons écrire :
A + R = D + A' (b)
équation que nous pouvons également présenter sous la forme :
R + (A – A’) = D (c)
étant donné que (A - A') représente la variation positive ou négative du fonds des disponibilités, nous pouvons interpréter cette formule de la manière suivante : la demande effective d'une certaine période est nécessairement égale au montant des revenus, augmenté de la diminution, ou diminué de l'augmentation subie dans l'intervalle par les disponibilités. Ces dernières ne peuvent augmenter qu'aux dépens de celle-là et vice-versa.
Les équations (a) et (c), nous donnent l'équation suivante :
P + (A – A’) = D (d)
cela nous montre que la production est égale à la demande, à condition que la différence (A – A’) soit nulle, mais qu'il n'y a pas d'égalité lorsque cette différence a une valeur positive ou négative.
Il ne fait aucun doute que les effets d'un tel déséquilibre sont de la plus haute importance pour la dynamique de notre système économique. Et c'est ce que nous allons examiner en discutant les deux cas qui peuvent se produire. |
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- Cas où les disponibilités décroissent
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Cela signifie que, outre les revenus perçus par les producteurs pendant la période considérée, une partie des disponibilités précédemment en réserve a été employée à l'acquisition de produits.
Cela dit, l'ensemble des revenus représente la quantité juste nécessaire pour le rachat, au prix où elle a été évaluée, de la production obtenue. Si, outre ces revenus, d'autres sommes s'ajoutent à la demande et se concurrencent en vue d'acquérir les produits, le prix atteint par la production dépassera le budget total considéré comme normal. Les cours des articles de consommation tendront généralement à la hausse.
L'important est de savoir comment se répartit cet accroissement de valeurs.
Les revenus issus de la production sont de deux sortes : les revenus fixes et les revenus aléatoires. Les premiers sont des salaires, des appointements, etc. … Les seconds, ce sont les profits des patrons, des commerçants et des spéculateurs. L'effet immédiat de la hausse des prix est que la production va obtenir une valeur de vente supérieure à celle qui était prévue, et le résultat sera un accroissement des profits éventuels des patrons et des commerçants. Cela se traduit par une stimulation de la spéculation et de la production. Si l'effet est suffisamment persistant, les affaires et les entreprises existantes se développent, de nouvelles usines se créent pour faire face aux nouvelles demandes. Les emplois de l'industrie et du commerce attirent des activités et des capitaux demandent de la main-d’œuvre, offrent de nouveaux emplois ; la somme accrue qui est ainsi distribuée sous forme de revenus implique une plus grande affluence d'acheteurs sur le marché des articles de consommation, d'où il s'ensuit une nouvelle croissance de la demande.
Cependant, ces revenus doivent nécessairement être tirés, de par les impératifs de notre régime économique, du fonds des disponibilités, étant donné que la somme des revenus et des disponibilités est invariable [formule (a)(3)]. Il est donc impossible que l'accroissement de la demande soit satisfait indéfiniment à l'aide de ce fonds inélastique, d'autant plus que la spéculation sur les produits, excitée par la hausse des prix, requiert elle aussi des sommes disponibles, de même que la création des industries et le développement des affaires.
Les disponibilités étant très demandées, il se produit une rareté de ces disponibilités, ce qui détermine une hausse des taux d'escompte, et d'une manière générale du taux d'intérêt, car le cours des actifs productifs de rente baissera par voie de conséquence. L'épargne se sentira stimulée par les plus grandes perspectives de profit ; toutefois, l'épargne est une diminution de la demande et, étant donné que la hausse du taux d'intérêt est, en revanche, un obstacle pour l'expansion de la production, bientôt la tendance à l'expansion du marché se trouvera freinée, aussi bien du côté de la production que de celui de la demande car, d'un autre côté, la hausse des prix réduit le pouvoir d'achat des consommateurs, qui perçoivent des revenus.
Quel est le lot de notre système économique ? : toute extension de la production requiert en même temps, une demande effective du marché et une création de nouveaux capitaux (capitaux, au sens économique, à savoir, moyens de production), cependant, l'une et l'autre chose doivent être réalisées aux dépens du fonds des disponibilités, dont l'inélasticité constitue un frein absolu pour la production.
Le moyen d'obtenir de nouvelles disponibilités, c'est l'épargne, mais l'épargne soustrait précisément de la demande au marché et tue le stimulus le plus grand de l'industrie, à savoir la hausse des prix et la perspective de profits industriels accrus.
A l'inverse, les grandes causes d'expansion de la demande - telles que, par exemple, les grands emprunts de l'État pour le financement de travaux publics, ou pour des dépenses militaires, ou encore pour d'autres grandes finalités nationales, qui collectent l'épargne et la lancent sur le marché sous forme de demandes de matériaux et de services - diminuent les disponibilités qui devraient servir à la production des articles aptes à satisfaire cette demande, et d'autre part, augmenter le taux d'intérêt au moyen duquel l'industrie devrait se procurer des ressources financières.
Les inventions techniques et les progrès industriels qui devraient faciliter l'expansion de la consommation, en diminuant le prix de la production, soustraient dans un premier temps, au marché, les disponibilités requises par leur implantation et diminuent la quantité de main-d’œuvre employée et, partant, le volume des revenus qui devrait servir à créer de la demande, de telle sorte que lorsque la capacité de production augmente, celle de la consommation diminue, et la plupart des avantages qui devraient découler du progrès sont ainsi perdus en vain.
Il est évident que certains individus vont profiter, dans une certaine mesure, de l'effet de ces progrès qui permettent de réaliser des économies dans l'acquisition de certains produits. Cependant, si ces économies sont consacrées à augmenter le fonds stérile des disponibilités, le bénéfice social ne sera pas très important.
C'est là, toutefois, le cas contraire de celui que nous discutons ici, et qui mérite à tous points de vue, un examen minutieux. |
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- Cas où les disponibilités croissent
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Si le fonds des disponibilités augmente, la demande se trouve fatalement diminuée, et il se produit par conséquent une dépression sur les prix des articles les moins demandés, car les producteurs ne peuvent réaliser d'économies qu'en s'imposant une privation relative(4). Les prix touchés par la baisse cesseront d'être rémunérateurs, car l'industrie était adaptée à la production au niveau de prix antérieur ; et dans la mesure où la dépression persistera quelque peu, les industriels se verront obligés de réduire la production, de licencier les ouvriers, de demander moins de matières premières, d'introduire des économies. Toutes ces mesures représentent une baisse des revenus qui, auparavant, se manifestaient sur le marché, sous forme de demande d'articles de consommation et qui ne pourront plus s'y manifester, entraînant ainsi de nouvelles dépressions. Ces dépressions ne trouveront même plus la compensation d'une épargne équivalente qui ferait augmenter les disponibilités, car elle résulte d'une production diminuée, laquelle production à son tour entraîne de nouvelles dépressions acculant ainsi de nouvelles industries au chômage, et ainsi de suite.
Voilà comment une petite dépression initiale, engendrant le chômage peut se répercuter sur toute la production, et de quelle manière peut être provoquée une grande crise de chômage et un marasme industriel, sans que pour autant les besoins ressentis aient diminué, et sans que la capacité de production soit inférieure, bien au contraire. Cela est dû simplement au fait que la production doit se réaliser à partir d'une demande préalable du marché, que la capacité de demande se trouve constamment réprimée par un trop grand désir d'accumulation de l'épargne. Cette épargne étant d’autant plus stérile d'un point de vue social, lorsqu'un emploi productif ne lui est pas donné, qu'elle est lucrative pour son propriétaire.
Le plus grave, c'est que dans le cas présent, la correction ne survient pas automatiquement, comme nous l'avons vu dans le cas précédent ; le chômage, au lieu de pallier le mal, l'aggrave indéfiniment. L'effet de dépression de l'une de ces crises ne peut se résorber que relativement, car le processus inverse se trouve toujours automatiquement réprimé, paralysant ainsi toute expansion de la production. Ainsi, notre état social est celui d'un malade chronique, toujours au bord de graves crises ; le mal se résorbe juste assez pour rendre de nouveau la vie supportable et il revient avec une gravité accrue, attiré par le moindre déséquilibre.
Une mauvaise récolte de céréales suffit, en l'absence de toute autre cause, à entraîner une catastrophe ; en toute logique, cela devrait simplement entraîner que chacun dût limiter quelque peu sa consommation de cet aliment par excellence. Cependant la cherté de cet article de première nécessité diminue la capacité de consommation d'un produit industriel de la grande masse des consommateurs, et il n’en faut pas davantage pour déclencher le point d'allumage qui doit entraîner la déflagration générale. Le mal aigu, c'est la crise, la maladie chronique, c'est le malaise social persistant continuellement ; la misère chronique subsiste partout, malgré tous les progrès de la science et de la domination de l'homme sur les dites choses.
L'amélioration relative, encore est-elle obtenue lentement et péniblement, non par suite des causes spontanées et nécessaires, mais de causes fortuites. Quand la misère devient très grande, il faut pallier les effets du chômage par la charité privée ou publique, par l'emploi d'ouvriers, ne serait-ce qu'au prix d'un parfait gaspillage du travail. On voit que les symptômes aigus parviennent à disparaître par suite des effets de guerre, qui obligent, avec ces dépenses extraordinaires, à collecter la majeure partie des disponibilités en réserve, et à les lancer, sous forme de demandes de vivres et de matériels de guerre, en guérissant ainsi la restriction de la production, au prix de maux plus cruels encore.
Bien qu'à mon point de vue, l'explication de la genèse d'une crise, du malaise social, et des phénomènes les plus caractéristiques de notre régime industriel, se trouve impliquée dans les déductions précédentes, certains aspects des fluctuations économiques, notamment le caractère soudain et brutal de certaines crises, ne trouveraient pas d'explications pleines et satisfaisantes, si l'on ne tenait compte de la manière dont sont engendrées certaines disponibilités qui n'ont pas leur source dans l'épargne. |
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(1) Les statistiques actuelles du commerce et de la production Intérieure sont très loin d'exprimer, par leur volume, l'importance industrielle d'un pays. Une nation qui aurait une production organisée sous forme de trusts verticaux intégrant tous les stades de l'élaboration du produit, depuis la production de matières premières jusqu'aux magasins de vente aux consommateurs, aurait un volume de transactions inférieur, avec une production réelle peut-être supérieure à celui d'une nation dont les industries, très spécialisées, sortiraient le produit sur le marché, à ses différents stades de transformation, et dont la valeur serait comptabilisée chaque fois, ce qui reviendrait à tenir compte plusieurs fois d'une même valeur. . |
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(2) Cela ne dépend pas de la nature du service, mais de la manière dont il est utilisé. Les mêmes services médicaux constitueront une rémunération tirée directement de la production, s'il s'agit d'un médecin engagé par une entreprise industrielle pour les soins de son personnel, car leurs honoraires seraient alors comptabilisés parmi les frais généraux de la production. |
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(3) Nous examinerons plus loin des cas où cette somme n'est pas invariable, mais on peut observer dans la pratique de longues périodes sans variation ; pour des raisons méthodologiques, il convient de considérer d'abord ce premier point. |
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(4) Si la diminution de la demande coïncide avec une baisse du coût de la production, cela pourrait ne pas entraîner une diminution de la consommation mais seulement un frein à l'expansion que l'on serait en droit d’attendre par suite d'une baisse des prix. |
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