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LA CRÉATION DES DISPONIBILITÉS |
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Lorsque des disponibilités qui ne proviennent pas de l'épargne privée apparaissent sur le marché, il ne fait aucun doute que le fonds disponible se trouve grossi, sans préjudice de la demande. Au contraire, il peut en résulter un accroissement de la demande si, les disponibilités se trouvant en surabondance, une partie en est versée sur le marché des produits de consommation. Suivant l'acception que nous avons utilisée jusqu'à présent, toute disponibilité est monnaie, tandis que toute monnaie n’est pas disponibilité. Lorsqu'il y a création de monnaie nouvelle, comment apparaît-elle sur le marché ? sous forme de revenus ou sous forme de disponibilités ? Les deux cas peuvent se produire et, pour bien les examiner, il faut ne serait-ce que brièvement voir, étudier, comment se crée la monnaie.
Il y a, en premier lieu, la frappe libre, système suivant lequel, la monnaie est frappée à la demande des particuliers, lorsque ceux-ci y voient une spéculation lucrative, c'est-à-dire lorsque le prix du métal baisse sensiblement par rapport à celui de la monnaie frappée. Le négociant qui achète de l'or pour le faire frapper donne au vendeur une disponibilité en échange d'une marchandise qui n'est pas à proprement parler une marchandise, mais il recouvre immédiatement sa disponibilité, à travers la frappe, augmentée d’un profit qui est sa rétribution, en tant que spéculateur. La disponibilité se trouve doublée, elle conserve intégralement son caractère et de plus un nouveau revenu est apparu, sans aucune diminution du fonds des disponibilités.
Un autre système, celui où la circulation formée de monnaie dont la valeur intrinsèque est très inférieure à la valeur nominale, comme c'est le cas pour la monnaie divisionnaire, est celui de la frappe pour le compte de l'État. Celui-ci acquiert les métaux en échange de disponibilités et les récupère aussitôt par la frappe, réalisant ainsi un profit important. Le cas ne diffère du cas précédent que par l'ampleur de ce profit qui, cette fois, est versé dans les coffres du Trésor public, en tant que ressource qui n'est pas tirée, contrairement aux impôts, de la production, ou des revenus des citoyens.
De toute manière, il en résulte une augmentation du fonds des disponibilités qui n'est pas réalisée aux dépens de la demande, comme dans le cas de l'épargne, et un accroissement des moyens monétaires de la demande qui ne diminue en rien la masse des disponibilités. On comprend l'effet bénéfique d'une telle mesure au regard du développement industriel, qu'il permet de réaliser sans difficultés.
Il ne résulterait que des avantages d'une circonstance aussi favorable, si les disponibilités ainsi obtenues étaient employées exclusivement au développement de la production. Cependant, la condition préalable d'incitation à l'industrie, surtout dans les pays où le dynamisme industriel est rare et où le capital est très prudent, c'est une hausse considérable et soutenue des prix, ce qui implique qu'une grande partie de la nouvelle disponibilité soit employée dans la spéculation.
Or, l'accroissement des moyens de paiement, sans une croissance parallèle de la production, signifie fatalement une hausse des prix, laquelle hausse diminue virtuellement le pouvoir d'achat des consommateurs. Ceux-ci se trouvent ainsi obligés de se passer de leurs dépenses les moins impérieuses, de sorte que si la hausse parvient à un niveau tel qu'il impose des privations très dures, il en résulte une vive protestation de la part des travailleurs et des employés, qui exigent une augmentation de leurs revenus fixes par des grèves et des troubles sociaux qui ne sont que les formes violentes du problème toujours latent, ce problème ne se manifestant que lorsque la souffrance et l'inégalité deviennent trop flagrantes.
Ainsi, ce phénomène de la baisse de valeur de la monnaie, qui est un phénomène séculaire, permanent, bien qu'il y ait des interruptions déterminées principalement par les crises, a contribué à provoquer et à maintenir au niveau minimum la restriction des besoins de la grande masse des consommateurs, en empêchant que les revenus nominaux ne croissent au même rythme que la dépréciation monétaire, de sorte que les revenus effectifs, loin d’avoir augmenté, parallèlement à la capacité de production, ont diminué. Or la capacité de demande est l'unique et le véritable stimulant pour l'essor industriel.
Le contraire de la monétisation, la fusion monétaire survient lorsque le prix du métal augmente par rapport à la valeur des pièces frappées, et revient à convertir des disponibilités en marchandise. Il y a des détenteurs de disponibilités qui trouvent plus avantageux de les fondre en vue de les vendre sous forme de métal ou d'articles fabriqués.
Il y a là, destruction d'une disponibilité qui ne sera jamais récupérée par la société. Cela entraîne la diminution du fonds existant et donne généralement lieu à une redistribution du numéraire, entre la demande et les disponibilités, ce qui diminue d'autant la somme destinée à l'acquisition de la production. Je pense qu'il est inutile d'insister ici sur les effets d'un tel phénomène. |
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- Émission de papier monnaie
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La création de monnaie fiduciaire est, de fait, un cas particulier de frappe de monnaie pour le compte de l'État. La différence réside davantage dans la quantité que dans la qualité. Dans ce cas, le coût de la monnaie est infime et, par conséquent, la quasi totalité de sa valeur représente une recette pour les coffres du Trésor, sauf en Espagne où celui qui tire profit de la jouissance de cette somme est la Banque Centrale. Cette recette est transitoire et à rembourser, mais généralement par une valeur plus faible, du fait de la dépréciation que l'augmentation de la masse monétaire fait subir à la monnaie. C'est donc pour l'État un moyen commode, bien que dangereux, de se procurer des moyens de paiement et d'augmenter, de ce fait, directement ou indirectement, la demande. Voyons ses conséquences sur l'économie privée.
L'obstacle sur lequel on bute, d'après ce que nous avons vu (1) lorsque l'on essaie d'accroître la demande aux dépens des disponibilités, c'est que, très vite, ces disponibilités sont si rares que l'on est obligé d'augmenter les taux d'escompte, ce qui a pour effet de freiner l'expansion de la production et de la consommation.
Cependant, étant donné que les disponibilités peuvent être fournies en quantités illimitées, le phénomène inverse ne survient jamais.
Le moyen de fournir indéfiniment des disponibilités, c'est de les créer à partir du néant ; c'est ce que l'on fait avec l'émission de papier-monnaie. Le commerce, l'industrie, la spéculation trouvent, grâce à cela, le moyen d'obtenir à un taux relativement bas des disponibilités pour leurs entreprises, car l'émission permet de faire face facilement à toutes les demandes.
Le fait, déjà rapporté à propos du cas de la frappe de monnaie, se renouvelle, mais dans des proportions plus grandes dans le cas présent, car la frappe a une limite naturelle - la comparaison entre la valeur de la monnaie et celle du métal - alors que l'émission n'a d'autre limite que celle de l'annulation de la valeur de la monnaie, car le coût relatif de l'impression des billets est lui-même susceptible d'être réduit indéfiniment, en faisant figurer des chiffres de plus en plus grands sur les billets.
On comprend quels sont les effets nocifs du système qui consiste à créer des disponibilités fictives. La production ne peut suivre que de très loin un accroissement aussi rapide de la demande de sorte que la majeure partie du fonds créé retombe sur la spéculation avec, pour résultat, de faire monter les prix, ce qui tend à diminuer la capacité de consommation des classes qui perçoivent des revenus fixes. Il est certain que ce que les agents qui perçoivent des revenus invariables reçoivent en moins, ce sont les commerçants, les industriels et les spéculateurs qui le gagnent. Mais étant donné que la capacité individuelle de consommation est plus limitée, la propension à investir de cette catégorie d'agents constitue une limite encore plus grande à la consommation qui apparaît d'autant plus facilement à l'occasion de recettes extraordinaires, plutôt qu’au détriment des besoins habituels. Ce transfert de capacité de consommation ne favorise pas la demande mais au contraire l'accumulation de disponibilités infructueuses. La demande finit par stagner avec une rapidité que seule modère l'obtention d'une amélioration du revenu de la part des classes ouvrières et des employés. De toutes façons, à la fin du conflit économique, la crise éclate fatalement, entraînée par l'impossibilité de réaliser l'équilibre entre l'offre, la demande et les revenus.
Il existe encore un fait qui peut la précipiter et la rendre encore plus violente : le retrait excessif de papier-monnaie qui crée tout le malaise industriel et financier consécutif à la raréfaction des disponibilités. Cela entraîne immédiatement une dépression des prix, suivie de toutes ses séquelles : chômage, baisse de la demande et marasme industriel.
Il faut signaler que les deux causes opposées : l'expansion et la contraction des disponibilités donnent le même résultat par des chemins différents, à savoir qu'elles constituent un obstacle infranchissable pour l’expansion des besoins des consommateurs et du développement industriel. Si la cause en est un accroissement des disponibilités, l'obstacle est dû à la hausse des prix provoquée par la spéculation qui diminue le pouvoir d'achat des classes les plus nombreuses. Si les disponibilités décroissent, l'obstacle provient de la baisse des prix qui conduit à la faillite des affaires, à la paralysie industrielle, laquelle prive de nombreux agents de la totalité de leurs moyens de subsistance et réduit en tous cas ceux de tout le monde, étant donné que la concurrence de la main-d’œuvre en chômage et l'intérêt des ouvriers de ne pas perdre leur emploi les oblige à se contenter du minimum de rémunération compatible avec leur subsistance.
Comment ne pas voir dans les conséquences matérielles et morales de ce fait la clé du problème social ?
Il n'y a pas lieu de se demander si une limitation des moyens naturels de production ou de l'efficacité de l'appareil de production est la cause de la misère des nations. En effet, bien avant que ce cas extrême ne se présente, notre régime économique est capable de produire cette efficacité et de l'entretenir au moyen d'une plus grande fécondité de la terre et des progrès techniques les plus puissants.
On s'explique seulement ainsi comment les plus grands gaspillages, les guerres, la paix armée, les corruptions administratives, le parasitisme grandissant des oligarchies, tout ce qu'il y a d'immoral et de pervers ne causent des conséquences aussi ruineuses que l'on pourrait logiquement en attendre ; dans des nations qui semblent être parvenues à la dernière extrémité de leurs possibilités, si l’on en juge par les désordres politiques, le malaise social et la misère de la majorité des individus. On constate au contraire que la crise ne survient jamais, par exemple, pendant les guerres ; les guerres seraient plutôt un palliatif au malaise économique persistant, car elles provoquent une prospérité apparente, tandis que le malaise revient avec plus d'acuité avec la paix, c'est-à-dire au moment où les énergies productives se trouvent délivrées de leur tâche belliciste et peuvent se consacrer à travailler au bien-être des citoyens.
Cela n'est compréhensible que dans l'hypothèse où le malaise social ne provient pas de l'incapacité à produire mais de causes artificielles qui paralysent l'appareil de production, en empêchant l'expansion des besoins et, partant, l'emploi efficace des énergies sociales. En dépit de leurs maux, les gaspillages présentent un avantage : celui de stimuler la production en incitant à la consommation ; de sorte, qu'en dépit de la calamité qu’ils représentent au même titre qu'une guerre, ils apportent un soulagement économique. En revanche, les économies, les progrès scientifiques, qui sont des moyens techniques d'économiser du travail, tout ce qui constitue un véritable progrès économique a souvent un effet opposé, d'où l'origine de la haine des ouvriers vis-à-vis des progrès techniques et de nombreux autres maux.
Tout cela ne démontre-t-il pas que notre régime économique ne cesse d'engendrer des maux plus grands, et peut être, pas moins cruels que la guerre ; le gaspillage, le désordre administratif, en faisant se consumer dans la douleur et dans la misère les énergies qui, volontiers, souhaiteraient s'employer à produire ce qui est nécessaire pour rendre la vie plus agréable, et que ce sont là les forces réprimées qui trouvent leur défoulement et leur soulagement à colmater les brèches ouvertes par les calamités qui pèsent sur une société, violemment perturbée dans son développement ? |
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Les caractères particulièrement aigus de ces crises ne trouveraient pas une entière explication si l'on ne considérait une dernière source de disponibilités fictives, qui ne constituent plus une monnaie au sens matériel du terme.
On sait que, dans les affaires, le crédit équivaut à des disponibilités, et que le fait de pouvoir acheter à crédit évite à tout négociant de posséder réellement du numéraire. Un crédit ouvert par une banque est une disponibilité qui, bien souvent, notamment dans les nations qui connaissent le plus grand progrès économique, est utilisé sans qu'il y ait disposition effective de monnaie et sans diminuer, par conséquent, les disponibilités effectives de l'entreprise. Il est certain que si l'usage du crédit est limité, l'économie sociale de disponibilités ne sera pas grande, mais dans la mesure où la confiance est répandue, chaque créancier obtient à son tour de ses créanciers un crédit et ceux-ci à leur tour de leurs vendeurs. C'est ainsi que se forme une longue série d'opérations effectuées sans numéraire et qui dans d'autres circonstances aurait requis l'existence de disponibilités réelles.
De telles disponibilités virtuelles ne peuvent être considérées comme identiques aux autres sous tous leurs aspects. Elles ne servent pas, par exemple, à payer des revenus, elles ne sont généralement pas utilisables pour les achats de biens de consommation mais elles n'empêchent pas pour autant les disponibilités réelles libérées d'être utilisées à de telles fins.
Tout cela est très bien dans les périodes de prospérité car cela permet d'assouplir le joug qui contraint, telle une main de fer, la production et le commerce, et les empêche de prendre librement leur essor, mais il y a là un germe des maux les plus terribles, maux qui surviennent sitôt que le crédit connaît une contraction soudaine. En effet, la contraction est fatale, aussi fatale que la crise, ne faisant qu'aggraver celle-ci et lui donner une plus grande violence. Dès les premières difficultés financières dans les affaires, la méfiance surviendra avec la crainte des engagements non remplis, et avec tout cela l'édifice des disponibilités imaginaires s'écroulera. Les opérations en cours devront être liquidées et, pour la suite, effectuées aux moyens de disponibilités réelles.
L'effet, alors, n'est pas différent de celui d'une quelconque contraction du fonds disponible toutefois, dans le cas présent, l'effet est d'autant plus brutal et plus difficile à contenir que les mobiles de la panique sont plus difficiles à maîtriser.
Il me paraît vain d'insister sur les conséquences de tout cela ; au degré près, elles sont identiques à celles que nous avons déjà examinées. La soif de disponibilités effectives, au moyen desquelles le vide laissé par l'évanouissement des disponibilités fictives pourrait être rempli, arrive alors au paroxysme et l'on s'efforce de les importer et de les attirer par tous moyens. J'ai cité, par ailleurs, le cas de la crise de 1907 aux États Unis où la contraction fut si grave qu'en dépit d’une importation d'or de quelques six cent millions de dollars en provenance d'Europe. Cela eut pour effet d'augmenter de moitié les stocks de métal, la raréfaction des disponibilités fut considérable. On comprend bien que cette soif de disponibilités peut être étanchée, grâce à l'émission de papier-monnaie, dans toute la mesure où la panique n'a pas atteint un degré tel, qu'elle entraîne avec elle la confiance dans ce moyen de paiement.
A défaut de tout cela, le besoin de disponibilités devra être satisfait lentement, au prix d'une épargne attirée et stimulée par un taux d'intérêt élevé, et nous savons que cela se traduit par des phénomènes de paralysie causés par la contraction de la demande. |
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